Activité E : Synthèse

Contribution du Web social au mouvement écologiste

La protection de l’environnement, en particulier en contexte de réchauffement climatique, est une préoccupation de plus en plus répandue. Or, pour une partie de la population, cette préoccupation a toujours existé, ainsi que la volonté d’être actif. Quels sont les changements survenus au sein de la mouvance environnementaliste suite à l’arrivée des médias sociaux ? C’est ce que j’aborderai ici dans les aspects positifs de la circulation de l’information et la mobilisation, ainsi qu’avec des conséquences moins positives telles la désinformation, l’écoanxiété et les contraintes liées au développement économique.

Il y a moins d’une dizaine d’années, une personne voulant réduire son empreinte écologique par la réduction, la réutilisation, le recyclage ou la confection maison devait se débrouiller seul pour trouver des ressources informatives. Dans les grandes villes il était possible de se déplacer vers des endroits potentiellement pertinents (éco-quartier, herboristerie, magasins d’alimentation naturelle, etc.), mais à l’extérieur des grands centres c’était une tâche plus ardue. Il y avait les bibliothèques, dont l’offre n’est malheureusement pas toujours récente ou diversifiée, ainsi que l’abonnement à certaines revues spécialisées. L’Internet commençait à devenir une source intéressante, mais il fallait faire des recherches extensives pour trouver de l’information pointue sur des microsites montés par des écologistes technophiles. Depuis quelques années, cependant, les choses ont considérablement changé. Une multitude de groupes d’informations et d’échanges sont apparus dans les médias sociaux, notamment sur Facebook. On y retrouve des groupes de partages de trucs écologiques, de conception de produits maisons, de troc, de vente de produits usagés, d’échange d’idées progressistes, de partis politiques aux valeurs environnementalistes, et bien d’autres encore. Trouver réponse à sa question est maintenant d’une facilité déconcertante pour les écologistes habitués à travailler dur pour trouver de l’info. Ces groupes sont majoritairement centrés sur l’effort que chaque citoyen peut faire pour améliorer le sort de la planète. Pour ce qui est de la circulation de l’information concernant l’état de la planète, on remarque une situation similaire. Il n’y a pas plus efficace que Twitter pour avoir de l’information en temps réel. Grâce aux abonnements et aux hashtag, il est possible d’avoir accès à une foule d’information sur des sujets qui intéressent les gens conscientisés. Il a été démontré que Twitter a régulièrement présenté de l’information plus rapidement que les grands médias lors d’événements, telles que les catastrophes naturelles.

Les conséquences de cet accès à l’information grâce aux médias sociaux sont bien entendu l’autonomisation (empowerment) des individus, mais aussi la mobilisation à petite et grande échelle. À petite échelle les médias sociaux permettent de s’organiser facilement et rapidement, par le biais d’invitation à des événements, rencontres, ateliers, manifestations, formations, etc. L’introduction à la possibilité de suivre en ligne l’adhésion des membres à des groupes ou des à événements amène un effet d’entraînement, où la réputation des individus participants joue pour beaucoup. À grande échelle, on assiste à une véritable révolution. Des nouvelles qui ne sortaient pas dans les médias traditionnels trouvent maintenant leur chemin auprès de la population, avec des conséquences inespérées. Prenons comme exemple les feux de forêts massifs en Amazonie de cet été 2019, au début totalement absent des médias traditionnels. En l’espace de quelques jours, l’information a envahie la toile et déchaînée des réactions d’indignation tous azimuts :

« Jeudi, les hashtags #PrayforAmazonas, #PrayforAmazonia ou #PrayForTheAmazon (“Prions pour l’Amazonie” en français) sont massivement utilisés sur les réseaux sociaux comme Twitter et Instagram. Les publications appellent à la prise de conscience et à l’action face à la catastrophe écologique au Brésil. »

« Des images impressionnantes de feux de forêt, apparemment en Amazonie, ont déclenché une tempête virale sur les réseaux sociaux… »

« #PrayforAmazonas : les internautes s’indignent contre les incendies qui ravagent l’Amazonie »

Cette prise de conscience à l’échelle planétaire a eu l’effet d’une bombe et a entraîné une réaction des gouvernements :

« Les deux contributeurs principaux du Fonds Amazonie, la Norvège et l’Allemagne, ont récemment suspendu leurs subventions à ce fonds qui permet de financer la préservation de la forêt, en raison des positions du président brésilien. »

« Notre maison brûle. Littéralement. L’Amazonie, le poumon de notre planète qui produit 20 % de notre oxygène, est en feu. C’est une crise internationale. Membres du G7, rendez-vous dans deux jours pour parler de cette urgence. » Emmanuel Macron, président de la France.

Que la force du nombre réussisse à inverser le cours des choses, cela s’apparente à une révolution. Mais à l’inverse de la révolution française, les gens n’ont même pas eu à sortir de leur maison pour arriver à ce résultat. Ils ont pu modifier « L’agenda setting » des médias traditionnels et les obliger à enquêter sur les circonstances entourant la naissance de ces feux et la position du gouvernement face à ceux-ci. On remarque ainsi de plus en plus cette propension des inquiétudes et intérêts véhiculés sur les médias sociaux à être repris par les grands médias. Je pense que des victoires comme la réintégration du lanceur d’alerte Louis Robert à son poste au MAPAQ sont en parti liées à la publication et à l’indignation massive sur les réseaux sociaux. Cela donne à penser que l’impunité n’est plus de mise, et ce, même au sein de l’autorité. C’est pourquoi certains pays totalitaristes bloquent l’accès à certaines plateformes et censurent massivement l’Internet. Car, si l’on bloque l’accès à l’expression des 10% d’utilisateurs participatifs sur les médias sociaux, on bloque la circulation d’information qui n’est pas mainstream.

La rapidité avec laquelle l’information est publiée peut cependant entraîner quelques dérives, la première étant la désinformation. Pour rester avec l’exemple du Brésil, il a été constaté que de mauvaises photos circulaient pour représenter la catastrophe :

« Les importants incendies en Amazonie qui ont été la première tendance mondiale sur Twitter mercredi sous le mot-dièse #PrayForAmazonas ont donné lieu à la publication de nombreuses images n’ayant aucun rapport avec les feux en question. Des internautes, y compris avec des comptes certifiés, ont publié des images anciennes ou prises loin du «poumon de la planète», parfois même dans d’autres pays. »

Fort heureusement, les erreurs sont en général corrigées aussi vite qu’elles apparaissent. L’autre conséquence moins heureuse de l’accès bonifié à l’information est moins facile à réparer. Si la connaissance en soit est une force, elle n’est pas garante d’action subséquente. En effet, une personne peut se sentir très impuissante devant le flot d’informations alarmantes sur l’état de la planète. Ainsi, on observe une pathologie grandissante favorisée par l’accès à l’information sur Internet, en particuler dans les médias sociaux, nommée écoanxiété, solastalgie ou angoisse climatique.

“Je ressens un besoin important de me documenter par rapport à l’évolution du climat mais, de plus en plus, je me dis qu’il vaudrait mieux que j’arrête pour le bien ma santé mentale.”

Certaines personnes ont voulu remédier à cet état d’angoisse et partager leurs inquiétudes ainsi que leurs conseils à la communauté. Ainsi, sur le site IS THIS HOW YOU FEEL? (https://www.isthishowyoufeel.com/) des scientifiques spécialistes du climats y vont d’impressions personnelles face à ce défi planétaire. On retrouve aussi sur le site des liens intéressants pour pouvoir agir, comme professeur ou comme citoyen, ainsi qu’un blogue. Voici deux exemples tirés de ces lettres manuscrites publiées par des scientifiques:

J’ai parlé de cette nouvelle opportunité que les médias sociaux créent en permettant l’unification des voix. Les rois, les religieux et autres tenant du pouvoir l’avaient bien compris avant l’invention de l’imprimerie; l’écriture confère un pouvoir. Comment ce tel pouvoir sera-t-il récupéré par les puissants de ce monde ? Comment bâillonner des millions afin de protéger nos intérêts ? Logiquement, en agissant sur le média lui-même. Outre le contrôle des médias par des dictateurs, la concentration des média dits traditionnels, plus subtile, est déjà observée comme étant problématique, ainsi que le rapporte Patrick Lagacé dans cet excellent billet intitulé Angle mort. Le problème ce n’est pas tant que les journalistes soient avertis d’éviter certains sujets, car la plupart déclarent ne pas subir de pression, mais qu’ils peuvent ressentir un malaise à mordre la main qui les nourrit. Car outre le journal lui-même, les compagnies qui possèdent les médias sont davantage des conglomérats qui possèdent un grand nombre d’autres compagnies dans divers secteurs de l’économie. Ce qui veut dire que le nombre de produits ou compagnies qui sont donc hors limites à critiquer s’agrandi exponentiellement au fur et à mesure de l’achat de nouvelles compagnies. Un phénomène assez similaire pourrait se produire dans les médias sociaux. De plus, à force d’inter-connecter toutes les applications entre elles, les propriétaires se retrouveront à posséder des parts dans tous les médias. Aussi, les grands joueurs n’aiment pas la concurrence et ont tendance à rejeter l’option de la portabilité des données, qui permet à un utilisateur d’un réseau social de récupérer ses contacts ou ses contenus et de les transférer vers un service concurrent. Ce manque de souplesse pourrait en décourager plus d’un de changer de plateforme, même si celle-ci lui déplait. En effet, l’impossibilité de ne pouvoir transférer des années, voir des décennies de vie en ligne est un obstacle de taille, et ce, malgré une surenchère de plateformes disponibles. On observe finalement l’apparition de médias sociaux dans l’arène de la monnaie cryptée, ce qui soulève des inquiétudes :

« Bien que j’apprécie le temps que les responsables du gouvernement suisse ont pris pour nous rencontrer, a déclaré la parlementaire américaine, mon inquiétude demeure de permettre à une grande entreprise de technologie de créer une devise mondiale alternative sous contrôle privé.”

En effet, la combinaison de pouvoir économique et de contrôle sur la circulation de l’information a de quoi faire sourciller. Ajoutons à cela le manque de transparence dans la gestion des médias sociaux, les accusations de vente de données personnelles (qui pour le moment mènent à de la publicité ciblée, mais qui sait quelle chasse aux sorcière cela pourrait engendrer), les ingérences dans des événement stratégiques internationaux (élections), nous pouvons concevoir qu’il y a aura importance à être vigilant dans les prochaines décennies et que les gouvernements auront avantage à se doter de lois encadrant les pratiques technologiques en ligne.

L’apparition des médias sociaux a eu un effet galvanisant sur les mouvements écologistes. Grâce à une circulation plus fluide de l’information et à des outils facilitant l’organisation et la mobilisation, on a pu observer une montée de prises de consciences et d’action concrètes. Néanmoins, la question environnementale étant intimement liée à une préoccupation économique, il est possible que le présent âge d’or de la libre circulation des idées sur internet ne dure pas dans le temps. Comme il m’est bien difficile de prévoir l’avenir, je ne sais si nous pencherons plus vers un contrôle accru de l’information par les grands propriétaires mondiaux, ou si au contraire seront mis en place des mécanismes garantissant la liberté d’expression et la protection des données personnelles. L’avenir nous le dira.

Références

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Agence France-Presse. (2019, 9 janvier ). La Chine renforce la censure sur Internet. Radio-canada. Repéré à https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1145884/chine-censure-internet-video-regles-lois

Agence France-Presse. (2019, 21 août). Sur les réseaux sociaux, les incendies en Amazonie et la désinformation. TVA. Repéré à https://www.tvanouvelles.ca/2019/08/21/sur-les-reseaux-sociaux-les-incendies-en-amazonie-et-la-desinformation

Cafedelabourse.com. (2019, 6 septembre). Libra : 3 choses à absolument savoir sur la future monnaie de Facebook. LCI. Repéré à https://www.lci.fr/conso-argent/libra-3-choses-a-absolument-savoir-sur-la-future-monnaie-de-facebook-2131431.html

Censure d’Internet en république populaire de Chine. Dans Wikipédia, l’encyclopédie libre. Repéré le 11 septembre 2019 à https://fr.wikipedia.org/wiki/Censure_d%27Internet_en_r%C3%A9publique_populaire_de_Chine

Gerbet, T. (2019, 30 juillet). Louis Robert retrouve son emploi et les mois de salaire perdus. Radio-Canada. Repéré à https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1242587/louis-robert-emploi-reintegre-mapaq-ministere-agriculture-agronome-entente?partageApp=appInfoiOS&accesVia=partage

Incendies en Amazonie, la vague d’indignation sur les réseaux sociaux. (2019, 22 août). La Radio Télévision Suisse (RTS). Repéré à https://www.rts.ch/info/monde/10653483-incendies-en-amazonie-la-vague-d-indignation-sur-les-reseaux-sociaux.html

INF 6107 – Le web social. Repéré à http://benhur.teluq.uquebec.ca/SPIP/inf6107/spip.php?article17&rubrique4

L’Obs avec AFP. (2019, 22 août).  #PrayforAmazonas : les internautes s’indignent contre les incendies qui ravagent l’Amazonie. L’Obs. Repéré à https://www.nouvelobs.com/monde/20190822.OBS17424/prayforamazonas-les-internautes-s-indignent-contre-les-incendies-qui-ravagent-l-amazonie.html

Lagacé, P. (2019, 2 septembre). Angles morts. La Presse. Repéré à https://www.lapresse.ca/actualites/201909/01/01-5239504-angles-morts.php

Lorenzo, S. (2019, 29 juillet). Angoisse climatique, éco-anxiété: souffrez-vous de solastalgie? Le Huffington Post. Repéré à https://www.huffingtonpost.fr/entry/angoisse-climatique-souffrez-vous-de-solastalgie_fr_5d3eb1c0e4b0db8affaaea4c

Myburgh, J. (2019, 21 août). Des feux en Amazonie déclenchent une tempête anti-Bolsonaro. La Presse. Repéré à https://www.lapresse.ca/international/amerique-latine/201908/21/01-5238174-des-feux-en-amazonie-declenchent-une-tempete-anti-bolsonaro.php

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Véronique, P. (2019, 8 août). Angoisse, dépression… L’éco-anxiété, l’autre effet du réchauffement climatique. L’express. Repéré à https://www.lexpress.fr/actualite/societe/environnement/angoisse-depression-l-eco-anxiete-l-autre-effet-du-rechauffement-climatique_2093702.html

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